Aubry de Braine, abbé de Saint-Médard, décédé le 3 mai 1206.
Les fouilles programmées engagées depuis 2019 dans l’ancienne abbaye Saint-Médard de Soissons ont permis l’identification de la plate-tombe de l’abbé de Saint-Médard Aubry de Braine, décédé le 3 mai 1206, et d’une tombe exceptionnellement bien conservée située en-dessous.
En 1981, lors du sauvetage archéologique programmé à Saint-Médard de Soissons, une plate-tombe avait été repérée dans l’angle sud-est du terrain de fouille, à l’emplacement de la première travée du chœur liturgique de l’église principale. Cette plate-tombe était alors en partie située sous le mur, qui clôturait le terrain où se déroulait la fouille. Ce mur ayant été détruit depuis, la plate-tombe a pu être entièrement dégagée lors des fouilles réalisées en 2019 et intégrée dans la numérisation générale du site. La lecture des inscriptions, qui bordent cette dalle, a permis de l’identifier comme étant celle de l’abbé de Saint-Médard, Aubry de Braine, décédé le 3 mai 1206. Cécile Treffort (Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, Poitiers) a étudié cette plate-tombe et a noté la grande qualité de cet ensemble, caractérisé par l’élégance de sa réalisation, la sobriété de sa composition et l’humilité de son discours.
La transcription et la traduction de l’épitaphe sont les suivantes :
1 + HIC.ALBRIC[…
2 …]PACIS.AMATOR.+RELIGIONIS.APEX.RERVM.PA[—]NS.MODERATOR+TEMAII
3 RAPVIT.LVX.TERCIA.
4 MILLE.DVCENTIS+SEX.ANNIS.TEMPVS.CVM.CVRRERET.OMNIPOTENTIS.
“Ici [repose en paix] Aubry, amoureux de la paix, Fleuron de la religion, patient régulateur des choses. Au troisième jour de mai, la lumière t’a ravi, Alors que courait depuis 1206 ans l’ère du Tout Puissant.”
Ghislain Brunel (Archives nationales), quant à lui, a rassemblé les éléments de la biographie d’Aubry de Braine. Aubry de Braine est identifié comme étant l’un des enfants de l’école de Saint-Médard en 1157. Son origine familiale n’est pas connue, mais son nom indique qu’il était très probablement rattaché à la forteresse de Braine, alors aux mains de la famille royale des Dreux-Braine. Aubry de Braine a occupé l’office de prévôt de l’abbaye de Saint-Médard sous l’abbé Bertrand (1186-1195) et est devenu abbé de Saint-Médard de Soissons en 1204, à la suite de la démission de l’abbé Roger Faucillon (1197-1204) et d’une grave crise interne réglée par l’intervention du pape Innocent III. Durant son court abbatiat, Aubry de Braine obtient du pape la confirmation du pouvoir d’excommunication de l’abbé de Saint-Médard (28 janvier 1205).
Par mesure de conservation préventive, en accord avec les services de la Drac des Hauts-de-France, cette plate-tombe a été déposée en 2020 grâce à l’aide des services de la Ville de Soissons (fig. 27) et une tombe construite a été mise au jour sous cette plate-tombe (fig. 28).
L’intérieur de cette tombe se trouvait dans un état de conservation exceptionnel (fig. 29). Cet état justifiait une fouille en laboratoire, qui a été confiée à l’atelier de recherche et de conservation ARC-Nucléart, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives de Grenoble. La sépulture a été prélevée le 15 décembre 2020 par Laure Meunier, restauratrice, et par Christian Vernou, conservateur en chef du Patrimoine (ARC-Nucléart), assistés par l’équipe de fouille et grâce à l’aide des services techniques de la Ville de Soissons. L’intégralité du contenu de cette tombe a été transporté à Grenoble, où son traitement biocide, effectué par irradiation gamma, a été immédiatement engagé. La conservation dans une salle climatisée a également été assurée par ARC-Nucléart, en attendant la fouille en laboratoire qui s’est déroulée du 19 avril au 7 mai 2021. Outre l’étude anthropologique, l’objectif prioritaire de cette fouille en laboratoire a été de prélever, pour leur étude, leur restauration et leur conservation, les restes organiques exceptionnellement bien conservés à l’intérieur de cette tombe, tels que la hampe en bois de la crosse, le grand manteau tissé de fils d’or, les chaussures, les végétaux présents dans la tombe. Cette fouille en laboratoire avait également pour but de comprendre à quel évènement correspond l’état de la tête du défunt et la raison pour laquelle une tôle de plomb cintrée avait été placée devant son visage. La Ville de Soissons, propriétaire du terrain de fouille, ayant donné son accord pour la fouille et le protocole d’intervention ayant été accepté par la Commission territoriale de recherche archéologique (Ctra), la fouille en laboratoire a été autorisée par la direction régionale des affaires culturelle des Hauts-de-France, qui a également apporté son soutien financier à l’opération. Une équipe de fouille de huit personnes a été constituée, sous la responsabilité du Département de l’Aisne, rassemblant les intervenants d’ARC-Nucléart, du Département de l’Aisne, du CNRS et plusieurs spécialistes de différentes universités. Les études scientifiques complémentaires sont assurées par une dizaine de spécialistes appartenant à différents laboratoires (paléo-pathologue, palynologue, anthropologue médico-légal, paléo-métallurgiste, paléo-parasitologue, archéo-entomologiste, radiographiste, datation par radiocarbone des charbons de bois, analyse des tissus …). L’expertise du Musée des Tissus, à Lyon, a été également sollicitée, notamment pour le tissu en soie tissé de fils d’or présentant des inscriptions en caractères arabes qui interpellent les chercheurs (fig. 30).
Le rapport final d’intervention est prévu pour le 31 décembre 2021. C’est sur la base de ce document que la dévolution du produit des fouilles à la Ville de Soissons sera effectuée pour une présentation au musée de Soissons après restauration de l’ensemble.
Au temps d’Aubry
L’époque au cours de laquelle vécut Aubry de Braine est dominée par la réforme grégorienne engagée au siècle précèdent, qui voulait imposer la domination du religieux sur le laïque. La création de l’ordre des Prémontrés, dont les 900 ans d’histoire sont commémorés cette année, auquel est rattaché vers 1130 Saint-Yved-de-Braine, en est une parfaite expression. Aubry de Braine est contemporain de la reconstruction de Saint-Yved-de-Braine et de la cathédrale de Soissons à partir des années 1180. C’est aussi l’époque où les maîtres de la guerre et la chevalerie s’imposent à la fois dans les rivalités territoriales aristocratiques et dans les croisades. Braine a été le théâtre de l’un des grands tournois organisés par la chevalerie, sorte de bataille programmée durant un jour et dans un lieu déterminé. Ainsi, en août 1175, comte Baudouin V de Hainaut est défié entre Soissons et Braine par ses adversaires franco-champenois. Toute la journée, le comte Baudouin, qui ne se dérobe pas, se tient prêt sur une colline couronnée de vignes face au château de Braine avec deux cents chevaliers et mille deux cents hommes à pied. Rien ne bouge et, à la fin de la journée, la troupe se lasse et rentre progressivement à Soissons. Baudouin, par honneur, attend le crépuscule pour quitter les lieux mais, au moment où il bat retraite, les Champenois et les Français sortent du château de Braine et se lancent à sa poursuite. Le comte Baudouin parvient à rappeler une partie de ses soldats à pied, qui mettent les Franco-Champenois en fuite. Avant de pouvoir se réfugier dans Braine, beaucoup de soldats franco-champenois à pied sont tués, noyés ou faits prisonniers. Une fois de plus, les troupes à pied du Hainaut prouvaient leur valeur guerrière.
Denis DEFENTE